Conclusion de la marche du 15 octobre 2017 – P. Vincienne

“A mon tour de m’adresser à vous, car il me revient de conclure cette journée. Vous avez vaillamment abattu les km et êtes porteurs d’une saine fatigue qui sera vite oubliée. Mais la journée ne se résume pas à une affaire de km et l’expérience laissera probablement une trace plus durable.

Tout d’abord, elle rejoint l’esprit de la Fraternité Générale, mouvement lancé l’année dernière en France en réaction aux attaques terroristes et visant à créer ou renforcer les liens de fraternité entre tous, sans frontières de culture, de classe ou de croyance. De nombreuses initiatives individuelles ou collectives sont intervenues ces jours-ci dans cet esprit, dont des marches pour la paix ce dimanche comme à Salon de Provence, Chalon-sur-Saône ou Colomiers.

Dès le départ, notre ami Michel nous a proposé de pratiquer L’esprit de la marche qui consiste pour chacun, à cette occasion, à entrer en relation avec quelqu’un, comme une contribution au vivre ensemble.

A notre 1ère halte, à la synagogue, notre ami le Rabbin Matusof, nous a invités à rejeter l’idolâtrie, c’est-à-dire à faire le tri des valeurs entre les plus essentielles, parfois peu voyantes, et les plus superficielles que notre monde propose en abondance. Nous avons pu méditer et partager à ce sujet au cours de notre 1ère heure de marche.

A notre 2ème halte, à la mosquée, notre ami Abderrahmane, nous a entretenu de la dignité de toute personne humaine, une qualité transcendante et inaliénable qui nous vient d’en haut, et ce thème a alimenté notre 2ème heure de marche.

A notre 3ème halte, au lycée International, notre ami Jean-Marcel qui ne se réclame d’aucune religion, a souhaité nous parler de la joie, aux sources de la paix, des propos qui ont donné sa tonalité à notre 3ème heure de marche.

Enfin, pour cette dernière halte en l’église de Sainte Radegonde, où il vient de nous accueillir, le Père Barba, responsable du doyenné, a évoqué la rencontre de l’autre notre semblable, comme une disposition ouvrant aussi à la rencontre du tout Autre, et il vient de nous confier ceci : “La rencontre me dépasse, Dieu fait toujours le premier pas”.

Je vous ai donc rappelé les différentes étapes de cette journée de marche, de réflexion et d’échanges. Pour construire la paix, osons la rencontre : c’est sur cette proposition que nous sommes tous ici et le thème de l’altérité a en effet dominé cette journée en vue d’un objectif de paix.

Mais une question reste posée : si nous admettons que la rencontre de l’autre favorise la construction de la paix, c’est parce qu’elle permet un dialogue en vérité. Et alors, quelles sont au juste les exigences pour y parvenir vraiment ?

Eh bien, j’en ai trouvé une « recette », dans les réflexions d’un sage des temps modernes, un artisan de paix du XXème siècle. Il s’agit de Pierre Claverie, l’évêque dominicain d’Oran, martyr assassiné le 1er aout 1996, quelques mois après ses amis les moines bénédictins de Tibhirine. Il fit un jour cette confidence : “Je donne ma vie, depuis toujours, pour le dialogue”. Un travail de toute une vie, et dont il a payé le prix élevé. Je vais le citer, en vous livrant les 5 étapes du difficile apprentissage, jamais achevé, auquel il s’est lui-même plié :

1) D’abord, sortir de nos bulles, individuelles, familiales, corporatistes, etc. dans lesquelles nous sommes tous confortablement installés, et où risquent de se développer nos égoïsmes et nos certitudes sur les autres.

2) Puis, nous faire pauvres en esprit, une condition de l’accueil du aux autres, à leur dignité et à leurs idées qui peuvent enrichir les nôtres. Comment ? En nous mettant au même niveau que l’autre, le seul possible, le plus bas.

Il disait : “La vraie pauvreté, c’est l’humilité. Elle nous débarrasse de nos prétentions et de nos vanités. Et il confiait qu’«être pauvre de soi-même est bien plus difficile qu’être pauvre de ses biens”

3) Ensuite, tenir notre porte ouverte pour laisser entrer chez nous ce qui vient d’ailleurs et accueillir la part d’inconnu que peut nous apporter le hasard dans nos existences.

“L’humilité c’est s’effacer en ouvrant la porte, c’est laisser entrer quelqu’un”

4) Et alors nous approcher des autres, c’est-à-dire nous en faire proches comme des frères et des sœurs, les regarder avec le cœur, car ils sont tous faits à l’image de Dieu, et puis entendre aussi ce qu’ils ont à nous dire et à nous apprendre.

Voici ce qu’il disait : “La reconnaissance et l’acceptation de la différence, de l’altérité sont les choses les plus difficiles. L’autre ne peut être autre que dans une différence ! L’aimer dans sa différence est donc la seule possibilité de l’aimer.”

5) Enfin, accueillir les autres, c’est les écouter, partager avec eux le pain et le sel, les idées, et même accorder le gite à l’instar des riches traditions d’hospitalité.

S’ils sont sincères et mutuels, ces échanges participent d’une quête de vérité et sont de puissants moteurs de paix, car nul ne parvient à se chamailler dans de telles conditions.

Il disait : “J’accepte que l’autre puisse détenir une part de vérité qui me manque et sans laquelle ma propre quête ne peut aboutir totalement. J’ai besoin de lui, car il peut m’apporter quelque chose d’essentiel. Nul ne possède la vérité, chacun la recherche […] On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres”

Une rencontre ainsi vécue et renouvelée ne peut se vivre que dans la joie qu’elle procure, ce à quoi Jean-Marcel nous a conviés. Antoine de Saint-Exupéry nous rappelait qu’ “on ne voit bien qu’avec le cœur” et que “l’essentiel était invisible pour les yeux”, une leçon d’humanité dont les religions ne sont pas propriétaires, et sur laquelle elles s’appuient toutes.

Marcher ensemble rend possible la rencontre car elle invite non à nous affronter mais plutôt à contempler ensemble un même horizon, et nous en approcher en empruntant les mêmes chemins. Ce geste ne manifeste-t-il pas déjà un désir de paix, en esprit comme en acte ?

Alors, au terme de cette journée, au moment où il faudrait conclure et s’arrêter, je vous invite à réfléchir à quel point tout commence au contraire.

Je ne peux m’empêcher de penser à cet instant aux marcheurs d’Emmaüs. Que savons-nous au juste de celles ou de ceux qui font un bout de chemin avec nous dans nos vies ? Quoi de plus naturel que d’engager la conversation ? N’avons-nous pas des choses à échanger mutuellement ? N’en sortons-nous pas plus éclairés et joyeux de ce que nous apprenons en cheminant ? N’en sortons-nous pas plus forts ensemble, plus unis et plus en paix avec nous-mêmes ? Alors que le soir tombe, notre marche ne s’arrête pas là car il nous reste encore à courir et porter tout joyeux cette paix, comme une bonne nouvelle, comme une flamme, aux autres dans nos familles, dans nos lycées, dans nos bureaux, dans nos quartiers, dès demain.

Partez donc en paix, et bon retour dans vos foyers avec cette flamme de la paix, que ces convictions vous accompagnent et vous comblent au-delà des efforts que vous aurez consentis.